Dépression chronique et vie professionnelle
264 millions. C’est le nombre de personnes qui souffrent de dépression dans le monde selon l’OMS. En France, ce sont environ 5 millions de personnes qui sont touchées chaque année, selon l’INSERM.
Est-ce que toutes ces personnes sont blotties sous la couette à pleurer ?
Bien sûr que non. Un grand nombre d’entre elles exercent une activité professionnelle. Que ce soit au sein des entreprises ou à leur propre compte.
Les épisodes répétés qui caractérisent la dépression chronique peuvent être d’intensité variable. Si parfois faire une pause s’avère indispensable, d’autres fois continuer à travailler est possible, voire bénéfique.
De nombreuses idées reçues circulent sur la dépression. Elles viennent principalement de la méconnaissance et du tabou entourant les maladies mentales.
Si les individus déprimés ont beaucoup à gagner à travailler, leurs employeurs, collègues et clients, tout autant.
Pourquoi un dépressif chronique est utile à l’entreprise
La dépression n’est pas juste une liste de symptômes qu’il suffit de cocher dans une grille universelle. Ce qui la rend si difficile à diagnostiquer et à prendre en charge, c’est qu’Il en existe presque autant de formes que d’individus.
La personnalité, l’histoire personnelle, l’environnement façonnent ses nombreux visages.
Outre la souffrance, on retrouve souvent d’autres points communs qui sont de véritables atouts cachés pour l’entreprise.
Une résilience à toute épreuve
Les personnes souffrant de dépression chronique développent souvent, au fil du temps, une résilience impressionnante. En proie à des défis émotionnels constants, elles sont souvent mieux préparées à faire face aux crises et aux situations stressantes.
Un projet qui prend du retard, une réunion de dernière minute, une remontrance acerbe d’un collègue, d’un client ou d’un chef ?
Habituées à ressentir des niveaux d’angoisse et d’anxiété importants, elles restent en territoire familier. D’avantage que d’autres, qui risquent d’être déstabilisés par un chaos intérieur peu familier.
Empathie et sensibilité
Les dépressifs chroniques ont souvent une grande capacité d’empathie et de compréhension. Ce sont des atouts précieux, partout où l’écoute et la communication sont clés. Quelqu’un qui sait écouter est une denrée rare, y compris dans le monde professionnel.
Cette capacité aide à détecter les signes avant-coureurs de malaise et peut être cruciale pour maintenir une ambiance de travail saine.
Le chemin d’une personne dépressive chronique est parsemé de défis personnels à surmonter. Ce qui la rend apte à reconnaitre plus rapidement les signes de détresse chez autrui. Elle peut, selon les fonctions occupées, intervenir de façon proactive. Elle représente un potentiel soutien émotionnel, précieux dans la prévention du burn-out. Il serait dommage de s’en priver.
Source de créativité inattendue
Souvent perçue sous l’angle des limitations, la dépression chronique peut-être une source de créativité puissante.
Les individus qui en souffrent sont devenus experts en introspection. Ils passent beaucoup de temps à réfléchir sur eux-mêmes et le monde qui les entoure.
Cette réflexion engendre une capacité à voir les choses sous un angle différent, à penser hors des sentiers battus. C’est une richesse qui permet d’explorer des solutions innovantes.
Les personnes dépressives seraient plus à même de faire preuve de « pensée divergente ». Concept clé de la créativité, elle consiste à générer des idées multiples et originales à partir d’un seul stimulus. A l’inverse, dans la « pensée convergente », plus répandue, une solution unique est trouvée pour un problème donné.
Bien des personnages célèbres ont marqué l’histoire malgré leur dépression chronique. Ce que l’on retient d’eux, c’est l’extraordinaire créativité dont ils ont fait preuve dans leur discipline :
- Abraham Lincoln ;
- Winston Churchill ;
- Martin Luther King ;
- Edgar Allan Poe ;
- Baudelaire ;
- Virginia Woolf ;
- Camille Claudel ;
- Van Ghog ;
- Robert Schumann ;
Une mention spéciale à 2 artistes français qui osent en parler : Muriel Robin et Stromae dont la chanson l’Enfer est pour moi une référence.
Pourquoi le travail peut améliorer la dépression chronique ?
Le travail n’est pas qu’un moyen de subsistance.
Pour une personne en souffrance, travailler représente parfois un défi insurmontable. C’est une source de stress et de conflits à l’impact profond.
Cependant, dans le meilleur des cas, l’activité professionnelle peut aussi donner confiance en soi et un sentiment d’accomplissement. Elle permet d’appartenir à une communauté et définit un cadre structurant.
Les bienfaits de la routine
Les routines sont très à la mode. On aime ou on n’aime pas. N’empêche qu’elles rassurent. Pour certains, sans le petit café du matin, point de salut. Pour d’autres, se lever tous les jours à la même heure est impératif.
La régularité dans les horaires rythme et structure la journée. Elle améliore les cycles veille/sommeil, souvent perturbés par la dépression.
Les interactions sociales
Lorsque l’on souffre, le repli est une tendance naturelle et dans bien des cas, il est impossible de faire autrement.
Pourtant, nous avons besoin d’échanges avec nos semblables. Même s’ils sont parfois sources de contrariété, nous pouvons difficilement en faire l’impasse.
L’être humain est grégaire par nature. Son instinct le pousse à s’intégrer dans des groupes, à appartenir à une communauté, et à suivre des normes sociales.
Les interactions au travail, même réduites, peuvent contribuer à remonter un moral en berne. Un simple « bonjour, ça va ? », une discussion superficielle mais bienveillante, une petite blague, ont le pouvoir d’éclairer une journée.
Continuer à se rendre au travail quand cela reste possible, permet de rompre l’isolement qui est une des conséquences de la dépression.
Le sentiment d’utilité
Apporter sa contribution à une équipe, constater les résultats de son travail, procurent un sentiment d’accomplissement.
C’est un antidote puissant à l’inutilité et à la vacuité souvent ressenties par les dépressifs chroniques.
Un pied de nez à Akoibon, ce compagnon collant qui leur murmure en permanence à l’oreille.
Même si certains jours, travailler s’apparente à l’ascension de l’Everest, la satisfaction qui en découle est une victoire.
Quelles sont les conditions de travail idéales pour une personne en dépression
Les vagues de suicides dans les entreprises, dans les années 2000 ont permis de mettre à jour des dysfonctionnements graves. Une nouvelle terminologie est apparue dont la fameuse QVT (qualité de vie au travail).
Est que pour autant la sphère professionnelle est devenue source d’épanouissement pour les individus ? Sans doute pas. A-t-elle vocation à le devenir ? Le débat est ouvert.
Cependant, les modes de travail ont profondément évolué ces dernières années. Cette évolution offre des bulles d’oxygène pour les personnes aux prises avec une dépression chronique.
La flexibilité des horaires
Non seulement elle contribue à réduire l’absentéisme mais c’est aussi l’antidote au présentéisme ( comportement qui consiste à privilégier, quoi qu’il en coûte, la présence physique au détriment de la qualité du travail).
Tout le monde est gagnant. La productivité de l’entreprise est préservée. Les salariés sont présents sur les plages horaires qui leur conviennent. La personne dépressive peut adapter ses horaires à ses difficultés du jour et à son niveau d’énergie. Ce qui lui permet de mieux gérer ses symptômes et d’éviter l’arrêt maladiû
Le télétravail
Véritable révolution des dernières années, il offre de nombreux avantages pour un déprimé chronique.
- Suppression des trajets domicile/travail pour diminuer la fatigue et les sources d’anxiété supplémentaires.
- Gain de temps pour les soins personnels.
- Liberté d’intégrer des pauses quand c’est nécessaire pour mieux gérer les symptômes.
- Réduction de l’anxiété sociale liée à la pression des interactions quotidiennes
- Possibilité de créer un environnement de travail personnalisé.
- Concentration accrue par l’absence de distractions (bruits de bureau, interruptions fréquentes).
- Amélioration de l’équilibre vie professionnelle et vie privé
Il nécessite toutefois de rester vigilant et d’établir des garde-fous. Toute médaille a son revers et le télétravail peut également envahir la sphère intime et accroitre l’isolement.
Un environnement compréhensif et inclusif
J’ai souvent constaté qu’il valait mieux admettre une maladie « physique » plutôt qu’une dépression. Je suis certaine que nous sommes nombreux dans ce cas.
Chaque année, ce seraient 5 millions de personnes qui souffrent de dépression et 15 millions de troubles anxieux. Malgré ces chiffres, en raison des représentations négatives qui entourent la santé mentale, la stigmatisation reste forte.
Attention aux secteurs qui peuvent paraitre séduisants, comme le monde associatif ou la fonction publique. Ils sont régulièrement pointés du doigt, lorsqu’on évoque la souffrance au travail.
Grâce aux réseaux sociaux et aux sites internet, il est possible de glaner beaucoup d’informations sur l’implication d’une entreprise dans le bien-être des salariés :
- Politique RH et avantages sociaux
- Culture d’entreprise
- Pratiques managériales
- Initiatives et actions en faveur de la santé
- Indicateurs de performance sociale (labels, certifications, RSE, etc.)
- Turn Over.
Quelles sont les professions à privilégier et celles à éviter ?
La case « dépression chronique » est bien trop étroite pour contenir toute la complexité d’un individu. Intelligence, personnalité, compétences et expériences ; voilà ce qui nous définit.
Dans toutes les sphères de la société et à tous les niveaux de postes, nous trouvons des personnes étiquetées « dépressives ». Beaucoup d’entre elles sont indétectables, brillantes et compétentes.
La bonne profession est celle qui permet à une personne d’évoluer et de se réaliser malgré ses fragilités.
S’il est donc bien difficile d’être radical, certaines évidences se dessinent.
Les valeurs (relativement) sûres
- Le travail indépendant
Pour des raisons évidentes de flexibilité et de diversité des modes d’exercice.
- Les métiers créatifs
La créativité est thérapeutique. Elle permet de canaliser l’énergie négative de façon constructive. Les personnes dépressives ont souvent un vrai talent dans ces domaines.
- Les professions de la santé mentale
Thérapeute, coach, conseiller en santé mentale etc. On peut penser qu’une personne qui connaît des défis mentaux réguliers, présente une compréhension accrue de ceux d’autrui.
Les métiers à risque
- Travail à haute pression
De façon générale, pression constante et horaires à rallonge ne font pas bon ménage avec un tableau dépressif classique.
Funambule des marchés financiers ou pompier de l’urgence perpétuelle, attention terrain glissant !
- Professions avec des Exigences Sociales Intenses
Les emplois qui comportent des interactions sociales constantes : relations publiques, service à la clientèle etc. Fatigants par essence, ils peuvent vite devenir épuisants pour quelqu’un de vulnérable.
- Professions Solitaires et Isolées
Trop d’interactions peuvent nuire, mais les métiers extrêmement solitaires également. Un gardien de phare ou un archiviste doit aimer sa propre compagnie pour ne pas ressentir le sentiment de solitude. Ce n’est généralement pas le cas des personnes en dépression.
Témoignage d’un parcours professionnel dans un secteur « à risque »
Que seraient tous ces exemples sans un contre-exemple. J’ai choisi de présenter celui que je connais le mieux. Et pour cause, c’est le mien.
Mon parcours professionnel a été très impacté par la dépression chronique. Façonné par les chutes et les rechutes, émaillé d’interruptions. J’avais l’impression tous les matins, de devoir enfiler la tenue intégrale du combattant. Treillis, grenades dans les poches, pistolet mitrailleur au poing, rations de survie.
Malgré tout, il a également été ponctué d’éclairs de génie et de fulgurances.
Ma première vie professionnelle s’est déroulée dans le monde commercial. Un monde de requins selon certains. Paradoxalement, dans la relation commerciale, ce sont les qualités humaines qui assurent le succès. Écoute, empathie, capacité à inspirer confiance plus que baratin, agressivité, appât du gain.
Je suis devenue, presque malgré moi, une « tueuse », selon le jargon du secteur en vigueur à l’époque. Élue meilleure commerciale France dans deux sociétés, j’enchainais les signatures de contrats.
J’ai fini par tourner le dos à cet univers pour d’autres horizons, plus alignés avec mon évolution. Pourtant, je ne renie pas cette expérience, bien au contraire.
Je m’y suis même sentie comme un poisson dans l’eau. Le succès donne certains privilèges. Celui de lever le pied, quand la dépression est trop forte, d’aménager ses horaires, de prendre des jours off.
Je suis prête à parier que ce qui a marqué mes employeurs n’est pas ma dépression chronique, mais l’importance du chiffre d’affaires réalisé.
On peut aussi bâtir quelque chose de beau avec les pierres qui entravent le chemin. Goethe
Beaucoup de projections et de clichés circulent sur les personnes dépressives. Certes, elles ont leurs zones de vulnérabilité comme tout être humain. Mais elles ont aussi leurs zones de génie. Leur souffrance même est une force. Elles ont appris à surfer sur des mers changeantes, avec toutes les conditions météorologiques. Certaines sont devenues expertes en stratégies émotionnelles et ont beaucoup à transmettre. Le mode du travail aurait tort de se priver de telles ressources.
Dépasser les tabous liés à la santé mentale, communiquer sur ces sujets, prendre en compte les besoins individuels, Autant de conditions qui peuvent rendre fructueuse la collaboration dans le monde professionnel.